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Deen Burbigo – Inception EP (2012)

Seuls les pas de Dom Cobb semblent raisonner dans l’entrepôt désaffecté, toupie dans la main droite,  gueule d’ange loin des standards classiques de la bouille de voleur, l’expert de l’Inception avance d’un pas décidé vers cet homme assis devant une table à moitié cabossée. Hochement de tête désabusé à la vue de son interlocuteur, une dernière taffe avant la pichenette du mégot, Dom s’assoit les épaules avancées vers son interlocuteur. Les secondes semblent des minutes, l’interlocuteur sourit, Dom Cobb rompt le silence :

-          Alors Saito qu’est-ce que vous allez encore m’inventer ? Une dernière Inception et je retrouverai ma famille ? je me demande encore pourquoi je m’impose votre vue tellement vous m’avez baisé.

-          Surement qu’au fond vous souffrez d’une certaine addiction à ce type de mission, répond le businessman japonais, quand l’impossible devient possible, le côté main divine semble vous galvauder.

-          Ecoutez, vos promesses et vos sarcasmes vous pouvez vous les carrer bien profond, ok ?

Saito passe outre, trop occupé à sortir des documents de son attaché-case.

-          Monsieur Cobb, si vous aviez réellement envie de m’envoyer chier vous l’auriez fait en faisant le trajet contraire à celui qui vous a permis de poser votre cul sur cette chaise. Voilà le deal, suite à l’affaire Fisher vous aviez accepté  une nouvelle Inception. La mission était alors de ne pas implanter une idée dans l’esprit d’un individu mais dans l’esprit d’un public inconnu de la scène rap. Avec vos équipiers, vous aviez rempli votre contrat puisqu’à l’heure actuelle 315 345 personnes sont addicts de 1995 et de l’Entourage alors qu’ils sortent bouse sur bouse. Mais les autorités françaises et certains irréductibles avaient révélés la supercherie. La suite : un mandat d’arrêt international qui vous empêche de retour chez vous.

-          Et cette fois j’y gagne quoi, les geôles turques ? la mixtape de Sneazzy West en continue ? le laxatif sous forme d’EP d’Aréno Jazz ? J’ai déjà perdu ma femme, je ne vais pas non plus perdre l’audition.

-          Hum, mieux que ça Cobb, un dossier blanc de chez blanc au niveau des autorités américaines et françaises, aucune trace de votre passé chez Interpol, bref une nouvelle vie, vous repartez à zéro… Et le dernier chef d’œuvre de Jazzy Bazz, je déconne Monsieur Cobb, humour quoi !

-          Ah, ah, je sens le piège, l’enjeu est énorme mais si ça consiste à faire passer Eff Gee pour un mc, autant qu’on se quitte dès à présent, personne ne peut descendre aussi loin dans le subconscient.

-          Non quand même pas, la cible a de réelles compétences microphoniques : Deen Burdigo

-          Ah ouais quand même…

Le silence s’installe, les deux hommes se dévisagent, rien ne semble transparaître de leur visage. Dom Cobb conclue :

-          Ok, il va me falloir des moyens et surtout un vrai plan d’action en 3 étapes : première étape réussir à faire croire que le mec cumule aussi bien flow d’assassin que lyrics de hauts vols.  Puis, créer un environnement musical en 10 morceaux, un brin moderne et très soit disant old-school. Enfin, va me falloir une plateforme de diffusion, pour cela on passera par les webzines spécialisés rap et autres blogs soi-disant indépendants.

-          Ok Cobb, impressionnez-moi.

Dans un premier temps, il est important de façonner la légende, lui donner un gabarit, faire du gars un être atypique. Une espèce de caille sans passé de rue, un mec populaire pour gosse de riche. Lui donner la force d’un mec à impact en mettant bien en avant  son affiliation au cirque Pinder du rap français L’Entourage, bref la relève, l’avenir (Rimeurs à Gage). Ni caillera ni gangster, le mec doit pouvoir toucher toutes les strates sociales d’un public parisien en manque d’action. Niveau flow, on s’en fout, le mec a beau avoir un niveau de machoires cassées se faisant largement outshiner par un Busta Flex freestylant avec une banane dans la bouche dans les grandes heures de Générations, un côté Dontcha/Dexter mélancolique sans âme, ou un côté rap bukkake… Là où on se facilite la tâche c’est surtout sur la supercherie Rap Contenders qui n’est autre que la version vidéo des fameux tommes « Ta Mère » du plus grand comique du PAF Arthur, même MTV et son Yo Momma ! ressemble à une émission littéraire de Bernard Pivot à côté. Là on surfe clairement sur le buzz du moment puisque le gars a fait ses classes sur ce truc, il sera facile immiscer l’idée suivante « bah s’il a fait Rap Contenders c’est qu’il est bon ». Histoire de ne pas endormir le public, on sort trois cartouches de nos anciennes missions : Alpha Wann, Nekfeu et l’espèce de Nate Dogg sans le cachet Jazzy Bazz, la recette avait bien marché avec  Guizmo. Et cerise sur la gâteau, on sort une bonne grosse daube internationale avec une quiche du genre Mr Probz pour donner dans le « swagg » avec plein de « hype » !!!!  La thématique de l’arithmétique pour un public à qui on veut croire par A+B que c’est du bon, on n’avait pas encore osé. Faire passer sa mélancolie sur du deux feuilles, lui donner les stigmates du jeune mal dans sa peau parti à la dérive et rattrapé in extremis par le golden age du rap (là on va rester flou, car on l’habillera avec les mêmes artifices musicaux qu’actuellement), conclura à merveille le personnage.


Second point, l’univers musical, on ne peut pas répéter l’erreur de Sneazzy West et ses instrus complètement pétées, il faut que l’on mette des moyens à ce niveau afin que le public ne se doute pas de la supercherie. La carte musicale adoptée par Guizmo semble le plus adapté : des beats basiques mais passe-partout quitte à retrouver des samples grillés (Rimeurs A Gage ou On Gère). Niveau déchets, on peut se permettre quelques ratés comme Roule et son instru complètement soporifique, Debout A L’aube et sa boucle aussi irritante qu’une otite ou Couteau Suisse sample qui additionne inintérêt et exaspération (putain même après sa mort Nina Simone voit son œuvre triturer dans tous les sens et surtout le mauvais)… le reste doit être calibré pour bouger les nuques ou permettre aux néophytes d’allier son EP à du rap underground ou plus précisément de qualité (en effet underground n’est pas un synonyme de qualité que ce soit dans le rap français ou outre-Atlantique…). Pour Ma Iv même musicalement on se retrouve vraiment dans une réédition de Solitaire de l’album Normal de Guizmo, ça permet de garder une certaine bulle homogène autour de l’ensemble et ainsi rassuré l’auditeur d’écouter du bon. Le début de l’EP laisse quand même place à un travail plus fourni et surtout plus général, l’enchainement Rimeurs à Gages, Soldat Sur et On gère lui donneront la crédibilité qu’il faut pour faire sa place…


Enfin, et c’est là où l’Inception va atteindre un seuil supplémentaire : aliéner l’idée grâce à des médias spécialisés et surtout soit-disant indépendants ! Bien sur on garde les blowjobs bien stéréotypés du type coup de cœur de la FNAC avec cette constatation qui peut provoquer une rupture d’anévrisme si relecture : « Quand on a véçu les belles années de La Cliqua ou de Time Bomb, la barre est placée haute pour s’enthousiasmer sur de nouveaux talents. C’est ici largement le cas avec Deen Burbigo qui cumule plume, flow et sons », damn, une barre au-dessus et on avait « Deen Burbigo, mc marseillais, est l’alliance parfaite entre le flow du Rat Luciano et la plume d’Akhenathon, le renouveau du rap marseillais à la croisée de L’Ecole du Micro d’Argent et de Si Dieu Veut »… On pourra aussi s’extasier chez la bande bretonneux-vendéen influence Inrocks/Pierre Lescure du webzine Neo Boto et cette déclaration d’amour : « Des punchlines plein les Nike et un putain de charisme sous la snapback, le MC marseillais est entré dans le game en défonçant la porte »,  la hype du swagg quoi ! On comprendra mieux pourquoi notre sujet prendra plaisir à participer à leur partiel de punchline (que l’on se rassure on retrouve ce même type de levrette pour des artistes comme Youssoupha). Pour le site du rapenfrance.fr, on retiendra que « Pour conclure, on connaissait le Deen comme un bon MC dans l’Entourage, grâce à ce disque il prouve qu’il va falloir compter sur lui en tant que rappeur français à part entière », on notera que le site passe le gars de MC à rappeur français (est-ce une sorte de critique cachée ??? c’est un peu comme passer du stade Lino au stade Mokobé). Autre webzine, Dopemuzikaddict : « Niveau flow Deen nous montre sa maitrise du rap tout en technique mais sachant également faire des refrains qui ne sonnent pas forcément « rap basique »», on leur en voudra pas sachant que des albums comme Vodka & Ayahuasca sont dans leur coup de cœur ce qui induit que techniquement des mecs comme ALC ou Oh No ! tiennent la barre haute niveau micro (méchant et gratuit)… Même l’univers des petits blogs va s’y mettre, sur hautparleurs.wordpress.com on va même jusqu’à dire que le Deen « se revendique perfectionniste, et ne donne clairement pas l’impression d’écrire ses 32 mesures en 10 minutes sans se soucier de la cohérence d’ensemble. Les thèmes évoqués sont courants, là encore il n’y a pas de quoi sauter au plafond. Mais Deen y ajoute l’art et la manière. », comprendra qui pourra, on en place quand même une pour les mcs écrivant les 32 mesures en 10 minutes avec des thèmes non courant qui font sauter au plafond mais sans l’art et la manière … Bref je me demande même si le besoin d’une Inception se fait ressentir vu que le gars semble majoritairement plébisciter par l’ensemble des acteurs(et on a pas parler du cas de l’abcdr du Son). Dur d’écarter le résultat d’une omniprésence médiatique (et donc faiseur d’audiences) pesante de L’Entourage et plus particulièrement des 1995 dans cette affaire, comme quoi une Inception peut en impacter d’autres…


-          Cobb, il y a des missions qui sont inratables, celle-ci frôle l’entrainement pour débutant, je compte donc sur vous pour la faire sans incidence. N’oubliez pas que le jeu en vaut la chandelle et qu’après cette dernière supercherie, la voie de votre liberté sera toute tracée…

-          Mouais, vu le nombre de projet à venir, je sens que ce n’est pas la dernière fois que j’aurais à vous rencontrer, le seul plaisir que je prends dans ces missions c’est d’opérer sans avoir à me fier à ma toupie pour déceler le vrai du faux…

10/20


NB : en 1979 quand le label Fatback commercialise le 33 tours Rapper’s Delight, le public des block parties cria au vol et à la fin d’un mouvement qui alimentait sa créativité par le refus à tout formatage, les générations suivantes avaient réussi à prouver que le mouvement ne pouvait se limiter à ce type d’expression en envahissant les bacs mondiaux via des classiques encore aujourd’hui indéclassables et indémodables (voir carrément indépassables). Malheureusement la forte industrialisation de ce mouvement avait fini par formaliser le fond et la forme par une génération moins scrupuleuse. Le web dernier bastion de résistance, après une crise du disque trop complexe pour réellement en comprendre les tenants et les aboutissants, est une des dernières plateformes à permettre un échange et une diffusion de réels talents. Cette chronique n’a pas pour but de taper sur Deen Burbigo juste par plaisir, le mec a pris sa chance au vol et a réussi à aboutir à cet EP et certainement derrière à un long format. Non, de part ce ressenti se cache au final une salve envers ces nouveaux webzines qui fleurissent à chaque coin de la toile et ces nouveaux blogs faits par des particuliers qui ne recherchent au final qu’une exposition sure et certaine (plus vulgairement du buzz) en optant par la facilité de mettre au premier plan des artistes  qui sont déjà relayés par des structures bien plus exposées.  La liste des artistes sans réelles expositions qui méritent autant de courbettes est très longue et des fois ça fait moins « pute »de se  courber pour du haut de gamme même si ça paye moins…

Deen Burbigo – Inception EP (2012)
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One comment on “Deen Burbigo – Inception EP (2012)

  1. argento on said:

    excellente critique

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